Au-delà de l’emballement médiatique autour de l’IA, force est de constater que les apports réels des chatbots et autres agents virtuels pour le service desk informatique restent très limités à ce stade. Les performances ne semblent pas (encore) au rendez-vous et l’expérience utilisateur peut vite devenir contreproductive. Pourquoi ?
Chatbots et IA : de quoi parle-t-on ?
Chabot, assistant vocal, FAQ dynamique… Les multiples avatars de l’intelligence artificielle font la une de la presse spécialisée depuis quelques temps. En promettant d’apporter une réponse immédiate 24/7, l’IA serait l’avenir de la relation avec les utilisateurs du service desk informatique à en croire certains ; au risque d’en oublier que la définition même d’une relation est un échange entre deux personnes.
Face à cet emballement médiatique, il convient de démêler le vrai du faux. Si l’on comprend vite l’intérêt de ces agents virtuels pour un site marchand dans un contexte commercial comme complément aux autres canaux de contacts (centre d’appel, courriels…), l’apport pour un service desk informatique est plus discutable. En effet, passé le premier effet « wahou », l’expérience utilisateur peut se révéler rapidement contre-productive voire déceptive. Pour les questions complexes, les résultats sont loin d’être au rendez-vous et l’on estime qu’un utilisateur abandonne sa discussion avec un robot après deux ou trois réponses non pertinentes.
Le risque est alors de répéter l’expérience irritante de l’automate téléphonique et ses fameux « tapez 1, 2 ou 3 » alors que l’utilisateur cherche désespérément à parler à un interlocuteur en chair et en os. Selon une étude menée par Pegasystems, 70 % des consommateurs préfèrent s’adresser à un conseiller plutôt qu’à une IA.
La réalité pour le service desk informatique ?
Qualifier la demande mais pas plus…
Au stade actuel de leur maturité, les technologies de Machine Learning et de Deep Learning peuvent servir avant tout à automatiser les tâches simples et répétitives comme la création d’un ticket ou la prise de rendez-vous avec un technicien par exemple. Au mieux, l’IA assurerait le premier niveau du support technique en exemptant les techniciens du service desk informatique des sempiternelles questions « Avez-vous redémarré votre ordinateur ? », « Que voyez-vous à l’écran ? »…
Le chatbot peut qualifier la demande, l’orienter en fonction de sa nature et de sa criticité puis passer le relais à son « collègue » humain. Ce dernier aura alors à l’écran toutes les informations utiles sans avoir à recommencer la discussion à zéro. On améliore ainsi la qualité de service et l’on peut aussi maintenir une activité en mode dégradé au-delà des horaires d’ouverture du Service TI. Ce lien en continu rassurera l’utilisateur qui saura que sa demande sera prise en charge à la première heure le lendemain.
Un robot peut aussi remonter une fiche technique ou un tutoriel plutôt que de laisser l’utilisateur se noyer dans les pages d’un intranet ou d’une FAQ. Cette assistance en self-service peut décharger le service desk des requêtes aussi courantes que la récupération d’un mot de passe par exemple.
A posteriori, l’IA pourrait également analyser les verbatims du Service Desk tels que le contenu des échanges téléphoniques ou textuels avec les utilisateurs. Cette analyse par le traitement automatique du langage naturel pourrait remonter des indicateurs clés comme la typologie des requêtes ou le degré de satisfaction utilisateur sans avoir à décrypter manuellement les enregistrements.
Un investissement important pour le service desk
avec des résultats limités
Au-delà, ces technologies montrent clairement leurs limites. Rappelons que, contrairement à ce que son nom indique, l’intelligence artificielle n’a (encore) rien d’intelligent. Pour être en mesure de délivrer ses réponses, un agent virtuel doit s’appuyer sur une base de connaissances informatique très étayée et structurée. Au stade actuel, les algorithmes peuvent uniquement associer un problème donné à un cas similaire.
La mise en place d’un chatbot nécessite, par ailleurs, un investissement important pour concevoir l’arborescence du dialogue et scénariser le schéma d’échange et d’escalade. A partir de combien de mauvaises réponses, un chatbot doit passer le relais à un humain ? L’effort ne s’arrête pas là. Si l’IA est dite auto-apprenante grâce au Machine Learning, il convient d’entraîner continuellement le robot en lui indiquant pour chaque échec quelle était la bonne réponse et veiller systématiquement à ce qu’un biais dans la réponse ne vienne pas pervertir le modèle. Quelle personne a suffisamment de temps libre au Service Desk pour entraîner un robot ?
Les services informatiques le savent d’expérience, l’IA pose également la question du « self care ». Comme pour l’automédication, l’auto-dépannage informatique par FAQ peut davantage aggraver un problème que le résoudre. L’effet « boîte noire » aggrave dans ce cas la suspicion : comment fonctionnent les algorithmes concrètement ? Sur quels critères reposent les résultats obtenus ? Si un robot est mis en place, le Service Desk informatique doit l’afficher clairement en prévenant l’utilisateur qu’il échange avec une machine et non pas un technicien support.
On comprend donc ici assez rapidement que la mise en place d’un chatbot opérationnel et intelligent va impliquer d’y consacrer du temps, de l’énergie et de l’argent ; il va être nécessaire de dédier des ressources supplémentaires pour maintenir et améliorer sa pertinence en continu. Le service desk informatique dispose-t-il d’une maturité suffisante dans la gestion de ses processus courants pour être prêt à se lancer dans un tel projet ? Et est-ce le bon moment compte tenu de l’état de l’art dans ce domaine ?
Le Service Desk informatique a pour objectif
de satisfaire les utilisateurs
L’IA soulève donc autant d’inquiétudes qu’elle tient de promesses.
Par exemple, les techniciens du support pourraient se sentir, légitimement ou non, dépossédés de leur travail par la machine. Il conviendra alors de les rassurer en rappelant que l’IA n’a pas vocation à les remplacer mais au contraire à rendre leur quotidien plus agréable en simplifiant la qualification des demandes.
Alors si l’objectif essentiel reste bien l’amélioration et l’enrichissement de la relation client, le chatbot est-il une voie à exploiter et propose-t-il vraiment de faciliter et soulager le travail du technicien ?
Il offre certainement de tirer parti du meilleur de l’humain et du numérique en jouant sur leurs complémentarités, mais il ne faut pas oublier de travailler auparavant sur un certain nombre de prérequis indispensables. En déchargeant le technicien des tâches à faible valeur ajoutée, l’IA permettrait à ce dernier de se concentrer sur l’essentiel de son métier : le service à l’utilisateur et sa satisfaction.
Mais avant cela, il faut s’assurer que les processus et l’organisation du Service Desk informatique soient déjà très aboutis : processus d’escalade, FAQ très riche et bien qualifiée (mots-clés, tags, rubriques…) issue d’une base de connaissances au service informatique très riche et bien structurée, portail ITSM bien accepté par les utilisateurs, etc. Faute de quoi, les chatbots se révèleraient rapidement contreproductifs et dégraderaient la perception de la qualité des services informatiques.